L’un des nôtres a relevé le défi du concours d’art oratoire organisé par France Télévisions. Détaillons les qualités de la prestation d’Alain.
En Janvier 2019, France 2 a organisé le premier concours d’éloquence télévisé, le Grand Oral. Douze candidats, issus d’une impitoyable sélection, s’y disputaient le titre de meilleur orateur de France au cours de joutes variées. L’un des participants n’était autre que la “star” de notre club, Alain, qui fut également le doyen de la compétition. La première épreuve consista, pour chaque concurrent, à se présenter en trois minutes devant un jury de personnalités. Nous allons, dans cet article, décortiquer la prestation d’Alain, car, par ses qualités, elle est un modèle pour les orateurs de tout niveau. Pour cette évaluation, nous nous appuierons sur la grille présentée dans un précédent article et aborderons successivement la structure du discours, le style et le langage non verbal adoptés par Alain.
UN DISCOURS QUI FÉDÈRE
Une bonne organisation de discours est vitale pour intéresser l’auditoire et le guider facilement. Tout commence par le choix du sujet. Ainsi, malgré le sujet imposé – parler de soi – Alain a transcendé l’exercice en abordant de multiples thèmes : l’altruisme, la précarité, la famille, le monde, la transmission et l’apprentissage. Ces thèmes lui ont permis de fédérer un public extrêmement large, à une heure de grande écoute. Ainsi, par exemple, tout le monde a fait l’expérience de croiser un SDF près de chez soi. Il a abordé d’ailleurs ces thèmes sans que cela soit pesant, réussissant à parler de lui et de ses convictions. Point important : sa chevelure grisonnante attestait sa légitimité à s’exprimer sur tous ces sujets, rendant son témoignage d’autant plus crédible.
La structure tout d’abord
En vue de prendre l’auditeur par la main, Alain a utilisé un fil rouge dans son discours, l’apprentissage : d’abord “les livres m’ont beaucoup appris”, ensuite “le monde m’a beaucoup appris”, enfin, et surtout, ce sont “les autres qui m’ont appris et grâce à qui j’ai, un peu, compris, puis agi et j’en suis récompensé”. La conclusion que tout un chacun a pu en tirer était source d’inspiration : agissez, vous aussi, et, comme Alain, vous en serez récompensés. Tel un joyau, le corps du discours s’enchassait entre une introduction et une conclusion, toutes deux ingénieuses.
L’introduction a accroché immédiatement l’attention grâce au secrétaire et au petit carnet : nous étions comme des enfants à qui l’on va raconter une histoire. Elle nous orienta ensuite rapidement vers la problématique au centre du discours : “Ai-je réussi ma vie?”. A la fin du discours, “quand le temps sera venu” signala adroitement la conclusion proche, après l’appel à l’action “…parce que vous serez récompensés” qui terminait le corps du discours. Elle apporta une réponse à la problématique : “j’ai réussi ma vie grâce aux autres”. Alain a fini son discours par une formule mémorable : “j’ai beaucoup appris, j’ai un peu compris. Mais les autres ont réussi ma vie”. Enfin, l’amplification du mot “vie”, prononcé viiiieu, a confirmé que le discours était fini.
LE style ÉVOCATEUR
Alain a choisi des mots élégants, simples et néanmoins évocateurs : “illuminer”, “majestueux”, “dominant”. Il a déniché également des images marquantes comme “la beauté saisissante du baobab dominant la savane africaine” ou “les arabesques de glace du Niagara”. Certaines images se déroulaient comme de véritables plans-séquences cinématographiques ; par exemple, le SDF qui roule son sac de couchage. Pour faire décoller le discours, il employa judicieusement plusieurs figures de style, comme le contraste (“6.000 kms de chez soi/5 mètres sous mon appartement” ou bien “que nous voyons tous mais que nous ne regardons plus”), les assonances (“apprendre pour comprendre”), ou encore l’anaphore : “j’ai appris…”. Enfin il a émaillé sa parole d’une trace d’humour comme dans “plonger avec délice dans l’informatique”. Tout contribuait à la concision, indispensable pour rester dans le temps imparti.
Pour finir, les éléments non verbaux
Alain a su moduler sa voix avec expertise, en intensité, par exemple dans “et eux me donnent tant en retour”, comme en rythme, avec des pauses (par exemple “je me suis demandé”) donnant au discours une expression naturelle et enthousiaste. En Toastmaster expérimenté, il a évité les hésitations. Le seul petit défaut de tout le discours fut un débit trop rapide par moment, sans doute causé par le stress du temps contraint. Pour y remédier, sans déroger à la règle des trois minutes, Alain aurait pu éliminer quelques mots (par exemple “du Niagara” plutôt que “des chutes du Niagara”) et, ainsi, parler plus lentement.
Alain utilisa également fort à propos tous les éléments du langage corporel : la posture, comme ce mouvement circulaire pour figurer le baobab dominant la savane, les gestes comme rouler son sac de couchage pour le SDF ou la main sur la poitrine, l’expression faciale avec le sourire aux lèvres et, enfin, le regard, particulièrement expressif, avec un bon contact circulaire. Il s’exprimait ainsi avec énergie et confiance pour persuader et inspirer. Les aides visuelles restèrent sobres mais efficaces (le carnet, sa femme Odile). Le carnet, en particulier, a permis de reboucler sur l’introduction, un peu comme une ritournelle.
Le plus fascinant dans ce discours est qu’il parvint à susciter en nous une émotion intense en moins de trois minutes. C’est la marque des plus grands orateurs. Ce n’est donc pas une surprise si le discours a permis à Alain de se qualifier pour le tour suivant. Son succès rejaillit sur le club auquel il appartient, l’Étincelle. D’autant plus qu’Alain est un excellent pédagogue, assidu lors des réunions du jeudi soir. Voulez-vous faire sa connaissance ? Venez donc assister à une de nos prochaines réunions.
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