Ajoutez de l’humour dans vos prises de parole !
Faire rire dans un discours constitue un Graal pour tout orateur qui se respecte. Pour honorer l’humour, Toastmasters organisait régulièrement, jusqu’à il y a quelques années, des concours de discours humoristiques. J’ai eu la chance de remporter l’un d’eux. Certains de mes collègues Toastmasters m’ont alors demandé quelle était ma « recette » pour ce succès. Comme le discours avait été enregistré (merci à Robert !), je me suis livré à une analyse du discours pour en comprendre les ressorts.
Je vous conseille de regarder cette vidéo une première fois, puis de parcourir l’article en la visionnant, en parallèle, une seconde fois. Le texte du discours est en italique et mes commentaires en police normale.
UNE INTRODUCTION MARQUANTE ET UNE PROPOSITION
« Eh bien, vous n’avez pas de quoi être fiers! 3 points sur le DCP du club cette année, mais c’est le Titanic. Et toi là-bas, oui toi Stéphane, ton dernier discours, c’était il y 5 ans ! Ecoute-moi bien, c’est simple : Soit tu accélères cette année, soit tu te trouves un autre club. »
Un discours humoristique est d’abord un discours, avant d’être humoristique. Il doit en particulier démarrer par une introduction qui attire l’attention et établir la connexion avec le public. Ici, le discours démarre par une saynète. Elle présente l’avantage de capter immédiatement l’attention grâce à la gestuelle et la voix. En outre, avec les mots-clé “DCP du club”, le public, constitué d’une centaine de membres de clubs Toastmasters, comprend qu’ils se trouvent en terrain connu : l’environnement Toastmasters va servir de toile de fond au discours.
Chers amis Toastmasters, c’est dans cette atmosphère bienveillante qu’a commencé le mandat de notre nouveau président. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Eh bien, si j’ai sauvé ma peau, je le dois, eh bien, je le dois à la langue de bois.
Un bon discours exprime également une “proposition” (ce sera le sujet d’un prochain article), par exemple une solution répondant à un problème. Ici, le problème est celui que connaissent de nombreux Toastmasters : le vertige de la page blanche. La proposition, fantaisiste, pourrait se formuler ainsi : “La langue de bois m’a permis d’écrire des discours plus facilement”.
Une petite remarque sarcastique sur la bienveillance chère à Toastmasters émaille le propos, tirée du constat que certains membres ont un peu perdu de vue cette qualité. La dernière phrase rime pour mettre en valeur la langue de bois, le véritable sujet du discours.
AU CŒUR DU DISCOURS…
C’est ma marraine qui m’a donné la solution. « Stéphane », me dit-elle, « tu veux écrire des discours vite et bien? L’homme qu’il te faut s’appelle Franck Lepage. Va le voir de ma part. » Vous le savez peut-être, Franck Lepage anime des séminaires de décryptage de la langue de bois à l’usage des syndicats.
Cette section de transition est destinée à installer le dispositif au cœur du discours. Elle mériterait d’être raccourcie car il ne se passe pratiquement rien d’humoristique pendant près d’une minute. Au passage, je rends hommage à l’auteur du sketch que j’ai adapté pour le discours (voir plus bas pour les détails). Rien, en effet, n’interdit de réutiliser des traits d’esprit venus d’ailleurs, à condition de rendre à César ce qui lui appartient (n’est-ce pas Gad ?).
Pour lui, le principe fondamental de la langue de bois consiste à diminuer le nombre de mots que vous utilisez. Moins de mots, c’est moins de tentations de réfléchir. Du coup, les discours sont plus faciles à écrire, plus faciles à prononcer, et plus faciles à écouter.
La gestuelle anime un peu le passage, avec une pincée d’ironie orwélienne. La “règle des trois”, par laquelle l’orateur juxtapose trois groupes de mots (cf. Churchill : “je vous promets du sang, de la sueur et des larmes”), donne du rythme et facilite la mémorisation. Les humoristes professionnels l’emploient souvent en créant un effet de surprise avec le troisième terme qui rompt avec les deux premiers termes, plus factuels. La répétition de “plus faciles” donne un aspect d’anaphore à la phrase.
…UN DISPOSITIF WAOU
Pour m’entrainer, Franck m’apprend à jouer au PipoSpeak. Voilà comment ça marche, vous prenez 8 mots qui ne veulent absolument rien dire, mais qui donnent l’impression de dire quelque chose. Vous mélangez bien…et c’est parti.
Les cartes tirées de la poche créent un petit effet de surprise. Le sketch de Franck Lepage m’a donné l’idée du discours. Franck est un activiste qui anime des séminaires pour décrypter la langue de bois. Convaincu du potentiel de ce sketch, je me suis demandé comment l’injecter dans un discours de concours. Naturellement, la parole en public s’est imposée pour établir la connexion avec l’auditoire. J’appelle cela le “dispositif Waou” du discours pour le rendre mémorable. De fait, des années après, certains témoins du concours me parlent encore de ce passage.
Je donne l’impression que n’importe quel mot, tiré au hasard, permet de bâtir un discours. La mise au point de la manipulation m’a demandé beaucoup de temps. En fait, j’ai conçu une série de phrases qui pouvaient s’enchaîner quel que soit le mot sorti du tirage. Puis j’ai appris ces phrases par cœur en veillant à ce que cette partie ne dépasse pas 1’30 », soit un cinquième du discours. Au deuxième passage, le public saisit tout le comique de la situation.
A la fin, les applaudissements retentissent, flattant l’ego de l’orateur. J’aurais dû les laisser se poursuivre, mais j’étais pressé par le temps et le risque de déborder du temps maximum. Au final, le discours dure 7’15”, donc pas très loin de la limite autorisée de 7’30”.
TENIR LA DISTANCE…
Après le séminaire de Franck, tout est allé très vite. Grâce à moi, mon filleul a pu écrire les 275 discours déjà programmés dans les 10 clubs où il est inscrit.
Pour pratiquer la parole en public, un Toastmasters est amené à prononcer plusieurs discours. Je fais ici allusion à certains d’entre eux, que la quantité obsède plutôt que la qualité.
Puis, avec mon aide, l’équipe pédagogique de Toastmasters a réussi à compacter les 120 volumes de la méthode en une feuille recto-verso.
Le comique vient de l’exagération du nombre de volumes de la méthode Toastmasters. Le langage corporel est capital pour déclencher les rires.
Plus récemment, le président Poutine m’a décoré de l’ordre de Saint-Vladimir pour lui avoir écrit un discours de 3h face à des Ukrainiens pro-russes avec deux mots : « agression » et « sécurité ».
La progression dans les exemples signale que cette approche absurde m’a permis d’acquérir de plus en plus de visibilité. Là encore, la gestuelle est très importante.
…EN RELANÇANT LA DRAMATURGIE
Mais, cette fois-ci, j’étais allé trop loin: le châtiment ne s’est pas fait attendre.
Un bon discours doit soutenir l’attention de l’auditoire jusqu’au bout. Et 7 minutes, c’est long, surtout quand on veut faire rire…Cette phrase de transition relance la « dramaturgie » en installant un suspense.
C’est par un beau dimanche matin que, me promenant non loin de l’Eglise Saint-Eloi, une lumière tombant du ciel soudain m’enveloppe de sa clarté. Je tombe à terre alors qu’une voix forte retentit :
« Stéphane, qu’as-tu fait ?
Le jeu de scène est un peu maladroit. Je me demande si les gens comprennent bien qu’il s’agit de Dieu.
Par ta faute, voilà maintenant que les hommes utilisent la parole pour tromper, pour masquer, pour escamoter.
Là encore, j’utilise la règle des trois.
Tout le monde est sur mon dos pour changer la Bible. Les ligues LGBT accusent Adam et Eve de faire l’apologie du couple hétérosexuel.
Avec le recul, je remarque qu’Il y a, dans ce trait d’esprit et le suivant, un glissement dans le thème du discours : de la langue de bois, où les mots sonnent creux, vers le langage politiquement correct. Or, les deux notions ne sont pas interchangeables. Ainsi, on peut parler politiquement correct sans employer de langue de bois. J’ai privilégié ici l’humour plus que la cohérence du discours et, finalement, cela s’est bien passé.
De son côté, Noé me reproche d’ignorer la directive intra-communautaire sur les espèces animales en danger. Et même Moïse commence à me les briser menues pour rectifier le dernier commandement : « le 7ème jour tu te reposeras », depuis que Macron l’a déclaré illégal.
Il s’agit d’un clin d’œil à l’actualité de 2015 avec l’adoption de la loi Macron libérant le travail du dimanche.
Va, débarrasse-moi de cette foutue langue de bois. Et si tu réussis, je ferai peut-être quelque chose pour ton certificat de Leader Compétent »
Je glisse une allusion à un « grade » dans le parcours Toastmasters, celui de Leader Compétent, pas particulièrement difficile à atteindre mais que peu de membres reçoivent. L’intervention de Dieu n’est pas inutile.
VERS LA CHUTE
Pour plaire à Dieu, j’ai donc créé le club des NoPipoMasters. Bien sûr, les règles ont été légèrement adaptées.
Reprendre les cartes du jeu de tout à l’heure permet de préparer la chute en fin de discours.
Le grammairien présente maintenant le mot-pipeau du jour, celui à ne PAS utiliser dans les discours. Le Compteur des Gaffes dénombre les mots-pipeaux: évidemment, son rôle occupe les trois-quarts de la séance. Enfin, depuis qu’un orateur s’est ouvert les veines après l’évaluation sans langue de bois de son Briser la Glace, les couteaux lors de la pause gustative sont désormais interdits.
Ici, ces trois traits d’esprit se moquent gentiment des rôles d’une réunion Toastmasters. Il était important de marquer le PAS pour la négation.
Mes chers amis Toastmasters, je vous invite donc à rejoindre sans plus tarder les NoPipoMasters, pour retrouver votre sincérité et mettre à bas la langue de bois
La posture théâtrale et l’utilisation des pauses permettent une conclusion réussie du discours, que ne vient pas gâcher la rime de la fin de la phrase. Il est très important de finir un discours par une chute dont les auditeurs se souviendront.
LA RECETTE DU DISCOURS HILARANT
En définitive, existe-t-il une recette pour les discours humoristiques ? Je ne le pense pas. Néanmoins, il me semble que cinq principes directeurs peuvent guider les orateurs qui veulent se lancer :
- Structurer la prise de parole comme un discours normal avec un message, une introduction, un développement et une conclusion
- Soutenir l’attention de l’auditeur. Pour cela, raconter une histoire avec des rebondissements est très utile
- S’inspirer de ce qui nous fait rire, en notant les situations de la vie quotidienne qui pourraient éventuellement servir dans un discours
- Utiliser l’auto-dérision. Qu’on le veuille ou non, le rire prend sa source dans la moquerie. En se prenant lui-même comme cible de cette moquerie, l’orateur évite l’écueil de la condescendance
- Travailler le style et le rythme, en particulier pour souligner les “punchlines”.
En définitive, chaque discours humoristique est une expérience unique. Et s’il est réussi, c’est souvent par miracle (merci Dieu !).
POUR ALLER PLUS LOIN
J’espère avoir donné envie à nos lecteurs de se porter candidat aux concours que nous organisons régulièrement. Pour découvrir nos réunions, venez donc assister à l’une de nos prochaines séances. C’est ici.
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